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Diplomatie : “Pour faire mieux avec moins, le temps est venu d’adapter le périmètre des missions”

Dans le cadre de l’examen du PLF 2019, la rapporteure pour avis sur le budget de l’action extérieure de la France (« Action de la France en Europe et dans le monde ») Anne Genetet a estimé que l’actuel grand écart entre les missions et les moyens de l’appareil diplomatique « n’était pas tenable » à terme. Pour faire mieux avec moins, elle recommande un « nouveau modèle diplomatique » qui adapte le périmètre des missions à des moyens durablement contraints.

“Urgent. Elève sérieux recherches solutions innovantes pour relever un défi majeur pour son avenir. Pronostic vital engagé”. En Commission comme en séance publique, la rapporteure Anne Genetet pour avis a choisi l’humour pour alerter les députés et le Gouvernement sur ce qu’elle a pu ressentir et constater en se penchant sur le budget de l’action extérieure de l’Etat. Et la députée de préciser sa pensée. « Elève sérieux », parce que le Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères « a déjà largement contribué à l’effort de réduction de la dépense publique explique-t-elle. Il a perdu 30 % de ses effectifs en dix ans, ce qui est quand même considérable ». « Solutions innovantes » parce que des gisements de productivité doivent être encore exploités au Ministère, estime-t-elle, notamment grâce à la révolution numérique qu’elle n’a « pas encore vu » au Quai. « Un défi majeur » puisque les changements mondiaux nécessitent de s’adapter pour rester diplomatiquement « compétitif ». Enfin, « pronostic vital engagé » car le MEAE est « à l’os budgétaire » dénonce-t-elle et « la poursuite de la réduction de la dépense publique serait préjudiciable à l’exercice des missions actuelles ». « Quand on est maigre, ce qui est le cas de ce ministère, prolonger son régime finit par être dangereux. Nous ne sommes pas loin d’en être là : il est important de le souligner » a-t-elle ajoutée en Commission.

Dans son rapport, la députée a voulu aller au-delà de la simple analyse comptable en évoquant entre autres divers dysfonctionnements comme étant autant de signaux d’alerte. Anne Genetet pointe ainsi du doigt « le grand écart » de l’appareil diplomatique qui existe actuellement et qui « n’est plus tenable ». « D’un côté des missions en extension permanente ». Dans les champs politique et culturel, mais aussi et de « plus en plus » insiste-telle académique, économique, sécuritaire, stratégique, touristique, environnemental. Et ce dans un contexte de croissance continue de communautés françaises à l’étranger et de montée des périls internationaux. « De l’autre des moyens humains et matériels en réduction continue ». « Bien que la France préside le G7 en 2019, le budget de la mission “Action extérieure de l’État” diminue de 5 % (de 2,863 à 2,724 milliards d’e) et les suppressions d’emplois représentent 8 % de l’ensemble des suppressions prévues par la loi de finances, pour s’inscrire dans la trajectoire du projet “Action publique 2022” qui vise la réduction de 10 % de la masse salariale des réseaux de l’État à l’étranger en 4 ans ».

« Faire mieux avec moins »

Alors pour la députée de la 11ème circonscription des Français de l’étranger, la diplomatie française doit se « repenser » et son périmètre revu. Avec finalement un seul principe « faire mieux avec moins ». « Ce nouveau modèle diplomatique devra tout à la fois permettre de rationaliser ses coûts, d’amplifier les réformes amorcées de modernisation de l’action diplomatique et des services consulaires, et de préserver l’universalité du réseau » détaille-t-elle. Et pour commencer, « quand on arrive à l’os, il y a un moment où il faut se séparer de certaines missions » propose-t-elle : « on pourrait se recentrer sur l’humain, la politique et l’économique, tout en s’interrogeant peut-être sur le reste ». Il pourrait en être ainsi dans le domaine de la diplomatie économique par exemple : « Le Quai et Bercy se marchent un peu sur les pieds, et l’on pourrait donc réfléchir à une meilleure articulation ».

Pour faire mieux avec moins, Anne Genetet imagine à voix haute un nouveau modèle diplomatique brisant « certains tabous ». « Pourquoi, par exemple se demande-telle, ne pas déléguer à des acteurs privés certains des programmes économiques, éducatifs et culturels de notre action extérieure ? Pourquoi ne pas pourvoir certains postes par des contrats de droit local ? » Dans les représentations diplomatiques et consulaires françaises, il y a environ 46 % d’employés de droit local contre 60 % chez nos voisins allemands et britanniques.

Il faut encore selon la rapporteure repenser les services consulaires avec la mise en oeuvre de formats de présence diplomatique « adaptés » et la modernisation des services publics consulaires. Elle se félicite d’ailleurs de ce qui a déjà été entrepris par le Quai depuis 2013 avec la transformation de 25 ambassades en postes de présence diplomatique (PPD) à format minimal, dans des pays où la communauté française est faible et les touristes français rares, et où les enjeux diplomatiques apparaissent moindres. Dans ces PPD, la mission de la représentation française est concentrée sur l’essentiel : le dialogue avec les autorités locales, l’information du ministère sur l’évolution du pays et le rayonnement de la France et de ses entreprises. L’ensemble de l’action consulaire est redirigée vers les postes les plus proches, et facilitée par le développement des démarches en ligne. « Les PPD ont donc permis de maintenir l’universalité du réseau dans un contexte de forte contrainte budgétaire » estime-t-elle.

Répondre « à un besoin de France »

Dans le même souci d’adaptation des formats de présence, la rapporteure juge l’expérience de la colocalisation franco-allemande à Dhaka (Bangladesh) « positive ». Une démarche qui pourrait être étendue pour d’autres postes, « sous réserve qu’une vraie mutualisation des fonctions support et sécurité soit opérée, et qu’elle ne se limite pas à une sous-location dans des locaux amis ». Autre format qui a l’assentiment de la rapporteure et dont elle souhaite l’extension : les « bureaux de France » expérimenté en 2017 à Chennai (Inde), à Monterrey (Mexique) et à Adelaide (Australie). « Ces bureaux, explique-t-elle, ont vocation à être implantés en priorité dans les grands pays émergents, où le maillage de notre réseau doit être resserré afin d’assurer notre présence dans certaines métropoles, dont l’importance du rayonnement et de l’influence est en train de s’affirmer et où la communauté française connaît souvent une très forte croissance. Ils visent à répondre de manière souple et proportionnée à un « besoin de France » qui s’exprime là où nous ne disposons pas d’un consulat ou d’un consulat général ». La rapporteure estime par ailleurs nécessaire de rénover et d’adapter autant que possible les outils informatiques dans les consulats qui sont souvent « d’une vétusté parfois problématiques ». Il s’agit aussi d’intensifier les efforts en faveur du développement du « consulat numérique ». Pour autant, ajoute-t-elle « la dématérialisation ne pourra pourtant pas exonérer d’une réflexion sur le niveau de services que les Français peuvent attendre de l’État à l’étranger ». Anne Genetet s’interroge notamment sur la très (trop) grande panoplie de services offerts à nos compatriotes à l’étranger qui se fait juge-telle « au prix d’une pression sur nos agents des consulats disproportionnée et nuisible à la qualité du service rendu ».

Réfléchir sans tabou à un modèle de diplomatie adapté à nos moyens contraints

Enfin, pour la députée, moderniser la diplomatie française passe par une plus grande visibilité de notre réseau. Il lui semble donc indispensable de « dépoussiérer l’image de notre diplomatie ». Pour elle, cela implique de mieux communiquer, notamment sur les réseaux sociaux avec par exemple la présence dans chaque poste d’un conseiller en communication spécialement dédié à cette fonction, plutôt qu’un conseiller presse.

Si la réforme des réseaux de l’État à l’étranger lancée par le Gouvernement avec plus de marges de manoeuvre donnée aux ambassadeurs et chefs de postes, « correspondait à un voeu ancien de notre diplomatie, et à vrai dire à une mesure de bon sens pour quiconque a fait l’expérience de la juxtaposition des réseaux sur le terrain », la rapporteure a déploré que telle qu’elle a été présentée dans le cadre du projet de loi de finances pour 2019, paraissait « dictée et enserrée par la contrainte budgétaire, et mise en oeuvre dans la précipitation ».

Au final, tout en ayant sans surprise appelé malgré tout à voter les crédits des programmes de l’action extérieure de l’Etat lors du PLFS 2019, la rapporteure estime que si l’on continue à réduire les moyens du réseau sans toucher au périmètre des missions de la diplomatie, « la France sera forcée de renoncer à l’universalité de son réseau ». En séance publique, elle a appelé le ministère – mais aussi les parlementaires – « à réfléchir sans tabou à un modèle de diplomatie adapté à nos moyens contraints » dans l’espoir de pouvoir publier l’année prochaine une nouvelle petite annonce : « Elève modèle dont la remise en question et l’amorce de sa mutation lui assure un avenir prometteur »

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